là où le bruit blanc de l'horizon urbain
d'échardes électriques infirme
l'apocalypse du jour jaune
les arches sculpturent une ténèbre au cordeau
sur lesquelles surgie soupçonnée par l'éclat
l'ultime réverence au métal alumine
en trombe comme des yeux déboulant à l'arrière
des paupières l'unisson veut alors que j'émerge
à la vue de ces barres à peine les fantômes
d'immeubles dont l'haleine tiède d'arrondissements
voisins au contact permafrost nimbe la base
d'une brume que le contre-jour fait diaphane
et ces portes noires et râblées d'un néant de gaze
là où le crépuscule se pulvérise dans l'urgence
Extinctionles passants qui défilent comme des gouttes
et leurs regards s'érodent
ne cherchant à s'infiltrer dans les
vides pourtant laissés
entre
continue
c'est un désert
trébuche les mains spirales
spirales
tracent des ombres
fugitives comme les mots mouches inutiles
tournent derviches sinon pilules
considère
que vers le sable
cornées jamais graines jamais givrées
les mots avalés
froids forent leur flamme blanche
les mots mutilent des visages
où les os affleurent obscènes
mais ne rien reconstruire car on ne peut pas bâtir de chateaux de sable dans un désert seulement marcher
marcher entre les carrés tant
qu'impossible où le vide
n'est plus permis
danse sous mes pieds autour
l'échiquier
je ne sais plus être mes personnages
juste marcher juste mal jusqu'au bord
et qu'alors je sais les être
mais ils sont mortsle sol sans sommeil sans col me somme l'alternance lisse
des faces mauves
qui me disent les mêmes graines
me désertent les mêmes scènes
où
chaque pas est un rivagechaque souffle la même vague
qui après tout aurait pu
m'entraîner de ces fonds vers
et faire qu'informe sur le sable
la visibilité supérieure d'un cadavre -
la fin de la transparence
Interlude.
Fugue en non mineur.J'ai entendu aujourd'hui quelqu'un qui disait il tombe des murs un beau jour quand on s'aperçoit que rien ne dure, mais alors comment font ceux qui savent déjà ne pas durer, qui n'entrent dans rien, pas un pied, pas un espoir, ni dans un objet, ni dans un but, ni dans une cuisse ?
J'ai entendu aujourd'hui quelqu'un dire maintenant tout ce que je rencontre je marche dessus, c'était un enfant avec des galets.
J'ai entendu aujourd'hui un vieux pleurer, ses larmes restaient en bordure épuisées, rien ne coulait sauf par la bouche et de sa bouche des mots comme des hoquets : comment laver les draps, comment les détacher maintenant que ma femme n'est plus.
J'ai entendu aujourd'hui un écrivain crever sous son écharpe fauve et ses dents écarlates. Il riait. Moi je le sentais crever sous sa joie, et sa Porshe comme des artères et son orgueil comme un cœur
I'm so lonesome I could cry.
Ils vous encaissent, ça marche ainsi, puis ils vous rendent la monnaie, souvent ils demandent des garanties, disais-je à l'écrivain, de loin, sous la pluie, tandis qu'il buvait un whisky au Ritz avec un chéquier. Je terminais ma clope, je l'écrasais sur une vieille rambarde marquée de pieds rageurs.
Mais alors comment font ceux qui savent déjà ne pas durer, qui n'entrent dans rien, la deuxième catégorie, celle qui de lassitude et de lucidité ne s'engage même plus dans ce qu'elle sait ne jamais durer, le ciel si bleu qui devient blanc un beau jour un peu comme l'amour.
J'ai entendu aujourd'hui quelqu'un demander : ça va, vous ne vous plaignez pas trop de votre vie ? Non vous savez, je n'ai que celle-là.
Aujourd'hui ça circule comme un animal rauque qui grince des dents, il soulève de deux griffes épaisses mon cortex puis taquine mes hémisphères d'une pointe tranchante. Le goût rape ma gorge, je voudrais tout foutre par terre, je voudrais tout recommencer, cette nappe âcre devant mes yeux, la vie à travers un voile transparent qui arrondit les angles qui n'a cure du lendemain mais je suis en cure de désintoxication, ma cure du lendemain et maintenant les jours seront jours de plomb, je serai une balle qui rebondit contre les murs, je retrouverai mon insatiable appétit de vivre, celui-là que j'endormissais, maintenant je vais devenir circulaire, boucle infâme et non bouclée, huit suspendu à mes yeux écarquillés, maintenant je vais voir crus les humains, crues les journées, blâfards les visages dans l'étal des boucheries, maintenant l'animal se perche sur mon épaule et me murmure des couplets de blasphèmes, déforme des majuscules et me susurre que le monde pourrait ne plus être si rond, que le poids sur mes épaules pourrait être léger comme un nuage, les nuages et les traînées transparentes que laissent les êtres dans mes coquilles éteintes par temps de beau soleil.
J'ai soif, je bois du jus d'oranges, j'essaye d'imaginer la pression exercée sur elles, je m'étourdis de contemplations sans nom, j'essaye de donner un nom à chacune de celles qui me traversent le gosier, histoire de m'attacher. J'essaye de nommer les choses, mais toujours cette animal cuit et bondissant, aux cernes blancs qui me hurle. Je crois qu'il me hurle moi.
Corps.Chaque individu vient au monde dans un mouvement qui le « jette » au monde. De façon tout à fait aberrante, Ignatus Bêlard n'avait jamais glissé sur quoi que ce soit, et même en ce premier instant duquel rien ne fut décidé, son être tout entier refusait le bouleversement, l'entrelac naissant, le choc de la lumière, la perforation des poumons, la palpation d'autres corps. Ignatus boursouflé, rouge comme une civière restait accroché aux limbes de sa mère, on dût l'extirper de ce merdier grâce à un pied de biche, on le finit à coups de pieds. L' « étant » est notre modalité de présence au monde, ce que nous sommes dans le monde, la somme du vécu et du présent, une ligne infinie, l'étant est notre présence au monde, soit une somme d'incohérences, d'aberrations, de prises de risques, d'aléas, de ruptures, de cavalcades, c'est ce parcours aléatoire qui enrichit l'être, l'essence, qui le fait mouvoir. Ignatus vivait pétrifié. Il s'accrochait à sa seule essence comme un réservoir inaltérable, inépuisable, il glorifiait l'essence, il en avait sectionné tous ses sens. (Albinoni –
Adagio in G minor).
On voit donc combien l' « être-jeté » d'Ignatus était altéré d'énormes contusions, dûes à un pied de biche, et combien son « étant » souffrait d'une catatonique immobilité.
C'est à partir de cette première dimension du Dasein, être-jeté et étant, que se développe l'existence, une sorte de mouvement vers l'autre et le monde, mouvement qu'Ignatus contemplait avec une suspicion mal rasée, qu'il calfeutrait à coups de karschers de Fluocaril, qu'il épongeait à grands coups de sourires, des sourires entre lesquels on voyait pointer parfois un petit bout d'endive ou d'épinard, lesquels étaient promptement assassinés d'un coup de cure-dents à la nuit tombée et voici le seul jeté au monde qu'ait connu Ignatus, sa salive, épaisse et crémeuse dans le siphon de son lavabo rutilant, ses postillons qu'il crachait à la face du monde dans des restaurants où l'on pêchait morues et maquereaux à longueur de courbettes, il se prenait des coups dans la mâchoire, à force de buter contre les sempiternels mêmes murs.
Interlude.
Je songe que j'ai eu besoin d'un animal familier pour supporter ces murs. Un animal qui efface tout, qui griffe les prunelles rend aveugle, qui perce les tympans, un animal qui efface la peur. Qui fait supporter l'envie de vivre. Au fond c'est cela. Ce n'est pas une envie de mourir. C'est cet effroyable gouffre entre une envie de vivre éclatante, auquel rien n'arrive à la cheville, surtout pas une existence, chétive, courte et déplumée comme un oisillon rampant.
Corps.Ignatus n'avait même pas la volonté d'une mouche sur une merde.
[Estragon triplex de mes fesses.]